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et les tinrent élevés pour que leur jeune maîtresse pût se contempler à son aise dans la glace ; car, bien qu’il fût près de onze heures du matin, à peine si un rayon livide de lumière pénétrait à travers les vitres et les rideaux ; un de ces brouillards jaunes, épais, suffocants, si communs à Londres, pesait sur la ville et continuait dans le jour les ombres de la nuit.

La tête, qui, illuminée de reflets soudains, se réfléchit comme entourée d’une auréole sur le fond sombre de la glace, était d’une beauté à ne le céder en rien aux plus pures créations de l’art grec.

Ce qui frappait surtout dans ce divin visage, c’était une blancheur lactée, marmoréenne, éblouissante, lumineuse pour ainsi dire, où les traits se dessinaient avec la transparence et la finesse de ceux d’une statue d’albâtre oriental. Quoiqu’il soit dans l’habitude des jeunes fiancées près de marcher à l’autel d’avoir les joues couvertes du voile épais de la pudeur, celles d’Amabel étaient à peine colorées d’une imperceptible teinte vermeille semblable à celle qui ravive le cœur des roses blanches. Le sang d’azur de l’aristocratie veinait cette chair délicate, fleur de serre-chaude que n’avaient jamais fatiguée le soleil ni la pluie, fine pulpe composée de sucs exquis et de purs éléments où la rusticité plébéienne n’avait pas un atome à revendiquer.

L’absence des soucis matériels, les recherches d’un luxe héréditaire, la comfortabilité parfaite de la vie, l’habitation de vastes appartements et de châteaux aux grands parcs pleins d’ombrages et