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de qualités énergiques dépensées peut-être en dehors du cercle des choses permises.

— Y a-t-il encore du gin et du wisky ? s’écria le premier qui mit le pied sur le plancher ; et il courut aussitôt à la table vérifier si quelques gouttes des précieuses liqueurs perlaient encore au fond des bouteilles.

— Oh ! dit le second, quand Noll et Bob sont restés accoudés face à face un quart d’heure séparés par une bouteille, la pauvre petite se meurt bientôt de consomption.

— Allons, ne pleure pas, Snuff, répondit Noll, en tirant d’un coin une bouteille pleine. Belzébuth se lècherait les lèvres s’il tâtait de cela. C’est du vitriol pur, du feu liquide sans mélange de rien de fade. Es-tu comme moi ? plus je vais, plus je trouve le gin faible ?

— C’est la vie, mon vieux : plus on va, plus on perd ses illusions. Nous avons tous cru à la force du gin. — Est-on simple quand on est jeune ? modula mélancoliquement Snuff, en versant une rasade philosophique de ruine bleue.

Le conciliabule en était là lorsque l’étranger et son guide, après avoir fait le signal de reconnaissance, pénétrèrent dans la salle.

Il promena son regard clair sur ces estimables canailles, qui, involontairement, baissèrent les yeux, à l’exception de Saunders, dont le visage paraissait un muffle parmi des museaux, une hure parmi des groins. — Il y avait en lui l’étoffe d’un crime. Les autres n’étaient capables que de délits. C’était un pirate ; ses camarades n’arrivaient qu’au voleur.