Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un ton rouge sombre comme du sang vieilli. Sur ce fond les habitués du lieu avaient, dans leur moment d’attente ou de loisir, sculpté avec la pointe d’un clou ou d’un couteau une foule de dessins et d’arabesques du plus haut caprice, dont les linéaments blancs ressortaient comme les compositions des vases étrusques, et démontraient un art non moins pur, non moins primitif.

Le thème favori de ces artistes inconnus, celui qui se reproduisait le plus fréquemment à travers ces fantaisies ornementales, c’était, il faut l’avouer, un gibet orné de son fruit. Ce choix trahissait-il des préoccupations habituelles, ou ne venait-il que du joli effet produit par les trois montants de la potence anglaise, réunis à leur sommité par des traverses de bois formant triangle, et dont la silhouette pittoresque séduisait les dessinateurs ? C’est une question délicate à résoudre. — Ces représentations, quelque grossières qu’elles fussent, se recommandaient par la fidélité et l’exactitude technique. Malgré la barbarie du dessin et les monstrueuses licences anatomiques, les mouvements et les attitudes des petits personnages suspendus offraient cette vérité saisissante que l’art le plus avancé n’atteint pas toujours ; les nœuds coulants étaient bien placés, et montraient des spectateurs assidus du théâtre de Tyburn.

Ces grotesques esquisses, tracées avec une jovialité terrible, faisaient rire et faisaient trembler. Plusieurs coupes, épures et élévations de la prison de Newgate, alternaient avec cet aimable sujet, et, à défaut de correction architecturale, montraient une grande connaissance et un vif souve-