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À cette vue, Sidney eut un éblouissement, les ailes du vertige battirent à grand bruit dans sa tête. Il fit quelques pas en chancelant, et tombant à genoux à côté du lit de parade, il baisa cette main glacée qui avait tenu le sceptre du monde ; on le laissa faire, les baisers ne ressuscitent pas ; — seulement comme il restait un peu trop longtemps abîmé dans sa douleur, on le poussa avec la crusse d’un fusil pour qu’il fit place à d’autres.

Il sortit livide, anéanti, pouvant à peine se traîner, plus semblable à un fantôme qu’à un homme, vieilli de vingt ans en une minute : ses yeux hagards erraient autour de lui tantôt vagues, tantôt se fixant sur un objet insignifiant avec une opiniâtreté puérile. L’empereur mort, Sidney s’étonnait d’être encore vivant. Il trouvait étrange que le soleil éclairât encore, que les montagnes n’eussent pas changé leurs formes et que la nature continuât son œuvre ! Quant à lui, il était faible comme après une longue maladie, le jour lui faisait baisser les paupières, l’air l’étourdissait. Ses facultés, tendues depuis si longtemps vers le même but, s’étaient brisées subitement ; cette volonté si ferme, si puissante, n’avait plus de nord et palpitait comme une boussole affolée ; un immense écroulement s’était fait en lui.

Son corps, par un vague ressouvenir, le mena vers la maison de campagne d’Edith ; il poussa la barrière du jardin, entra dans le parloir et s’affaissa sur une chaise sans dire une seule parole.

Edith, dont une robe noire faisait encore ressortir la pâleur, s’avança vers lui silencieusement et lui prit la main.