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Après quelques détours, un spectacle d’une majesté navrante s’offrit à ses yeux.

Couché dans son manteau de guerre plutôt comme un soldat qui se repose pour la victoire du lendemain que comme un corps acquitté de la vie. Napoléon, étendu sur son lit de parade, revêtu de l’uniforme des chasseurs de la garde, la poitrine couverte de décorations et de plaques étincelantes, sa bonne épée allongée près de son flanc en amie fidèle, faisait son premier rêve d’éternité. Une singulière expression de sérénité et de délivrance planait sur son masque de marbre pâle que les convulsions de l’agonie avaient respecté. Tout ce que l’ivresse du triomphe ou la douleur du revers, les fatigues de la pensée ou de la souffrance peuvent laisser de traces matérielles ou misérables sur le visage humain, s’était évanoui.

Ce n’était plus le cadavre d’un homme, mais la statue d’un dieu : l’enveloppe terrestre touchée par la mort laissait transparaître la portion céleste ; le cachot était devenu un temple et la chambre funèbre un Olympe. Christ sur sa croix, Prométhée sur son roc, n’eurent pas une tête plus noble et plus belle.

Grande âme impériale, oh ! qu’avez-vous vu pendant ces premières heures de votre immortalité ? Qui osa venir à votre rencontre pour vous mener à Dieu ? Alexandre, Charlemagne, Jules-César, votre bien aimé Lannes, qui n’invoquait que vous en mourant, ou encore votre cher Duroc, ou bien quelque pauvre grenadier obscur de votre vieille garde, qui a trouvé son sang bien payé en voyant que vous saviez son nom ?