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écharpe sur le lit en signe de possession.

Ensuite ils descendirent au jardin, où ils se promenèrent dans la longue allée des tamarins avec cette volupté de gens qui depuis trois mois ont pour limite à leurs pas le tillac étroit d’un navire. Le bras d’Edith s’appuyait sur celui d’Arundell, car elle chancelait, déshabituée de la marche par cette longue traversée ; et certes c’eût été pour Amabel et Volmerange un spectacle incompréhensible que ce couple parcourant cette allée solitaire avec un air d’intimité conjugale.

Quelques jours se passèrent de la sorte. Edith était convenue vis-à-vis d’elle-même de regarder Benedict comme un frère ; Benedict, de son côté, l’acceptait comme une sœur. Cependant, un charme plus vif qu’ils ne le croyaient les attirait l’un vers l’autre, et ils passaient presque toutes leurs journées ensemble.

Ils finirent par se faire des confidences. Benedict raconta à Edith son amour pour Amabel, et la façon dont il en avait été séparé ; Edith lui apprit son mariage à la funèbre église de Sainte-Margareth.

— Quoi ! cette voiture qui a croisé la mienne devant le portail, c’était la vôtre !

— Oui, répondit la jeune femme.

— Étrange coïncidence : le mariage que tout semblait préparer n’a pu se faire ; ceux qui devaient être unis sont séparés, ceux qui devaient être séparés sont unis ; les couples se défont et se reforment en dépit des choix et des volontés : nous qui n’avons pas d’amour l’un pour l’autre, car nos cœurs sont donnés, nous voici dans la même maison, seuls, libres ; et nous sommes à des milliers de lieues des