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les chevaux blancs secouaient leurs folles crinières ; les marsouins jouaient au triton et à la sirène dans le sillage ; de temps à autre une bande grisâtre, bordée d’écume, émergeait, loin, bien loin, sur la gauche de la Belle-Jenny, avec l’apparence d’un banc de nuages colorés par un rayon ; des albatros, berçant leur sommeil avec leur vol, planaient au-dessus des mâts ou rasaient les vagues, une aile dans l’eau et l’autre dans l’air ; à mesure qu’on avançait, le ciel était plus clair et les brumes du nord restaient en arrière comme des coureurs essoufflés.

Mais bientôt tout disparut : plus d’oiseaux, plus de silhouettes de côtes lointaines ; rien que la mer et le ciel avec leur grandeur monotone et leur agitation stérile. La chanson vénitienne, dans son admirable mélancolie, dit qu’il est triste de s’en aller sur la mer sans amour. C’est vrai, et c’est beau ; l’amour seul peut remplir l’infini ! Mais sans doute la barcarolle n’entendait pas un amour sans espoir et brisé comme celui d’Edith pour Volmerange. Une grande tristesse envahi la pauvre jeune femme ; elle ne pouvait s’empêcher de songer à la vie heureuse qu’elle aurait pu mener, et pour laquelle Dieu et la société l’avaient faite, et qu’une complication d’intrigues scélérates lui rendait impossible : elle pensait aussi à lord et à lady Harley, au désespoir affreux de ce noble père et de cette respectable mère, et des larmes coulaient silencieusement sur son beau et pâle visage, larmes plus amères que l’Océan où elles tombaient.

Contradiction bizarre, mais qui n’étonnera pas