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inerte. Le tonnerre m’est tombé une fois dessus, sans pouvoir interrompre mes prières. Aussi Brahme, Wishnou et Shiva ont-ils pris ma pénitence en considération, et la vénérable Trimurti, lorsque, mon temps achevé, je suis allé la consulter dans les cavernes d’Eléphanta, a-t-elle daigné me dire trois fois, par les bouches de sa triple tête, nom du sauveur prédestine.

En tenant cet étrange discours, Dakcha semblait s’être transfiguré ; sa taille voûtée s’était redressée, ses yeux étincelaient d’enthousiasme, une lumière intérieure éclairait sa face brune ; ses rides avaient presque disparu, et la jeunesse de l’âme, amenée à la surface, voilait momentanément la décrépitude du corps.

Volmerange surpris l’écoutait avec une sorte d’effroi respectueux, et Priyamvada, saisie d’admiration, prit le bord de la robe du saint homme et la baisa religieusement : pour elle Dakcha était un Gourou, un être divin. Quand elle se releva, ses yeux étaient remplis de larmes comme deux calices de lotus emperlés par la rosée matinale.

Ce groupe était d’un effet charmant. Cette jeune créature, aux mouvements gracieux, aux formes arrondies, aux vêtements somptueux, formait un contraste comme cherché à plaisir avec ce vieillard sec, anguleux et fauve ; on eût dit la personnification de la poésie à côté de la personnification du fanatisme.

Cette scène étrange avait distrait le comte des événements de la nuit ; tout ce qui s’était passé dans la chambre nuptiale et sur le pont de Blackfriars lui produisait l’effet d’un cauchemar fié-