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Toutes ces marches et contremarches avaient pris du temps, et l’aurore tardive de novembre jetait de vagues lueurs dans le ciel, que jonchaient de grands nuages éventrés, gigantesques cadavres restés sur le champ de bataille de la tempête. Rien ne ressemblait moins à l’Aurore aux doigts de rose d’Homère que ce sinistre lever du soleil britannique.

Il se laissa tomber au pied d’un arbre qui frissonnait à l’aigre brise du matin, déjà veuf de plus de la moitié de ses feuilles, et reprit dans sa poche les lettres à moitié lacérées d’Edith qu’il y avait plongées par un mouvement machinal : tout en ne lui laissant aucun doute sur son malheur, elles étaient d’un style contraint, et la passion ne s’y exprimait qu’avec des formes embarrassées ; on eût dit que la jeune femme avait cédé plutôt à une fascination involontaire qu’à une sympathie.

Cette lecture envenimait encore les plaies de Volmerange, mais il avait besoin de la faire pour légitimer sa vengeance à ses propres yeux : après son action violente et terrible, un doute lui venait, non sur la certitude de la faute, mais sur la légitimité de la punition : cette forme blanche, descendant à travers l’ombre vers le gouffre noir du fleuve, lui passait toujours devant les yeux comme un remords visible. Il se demandait s’il n’avait pas outre-passé son droit d’époux et de gentilhomme, en infligeant une mort affreuse à un être jeune et charmant à peine au seuil de la vie. Quelque coupable que fût Edith, elle était tellement punie qu’elle devenait innocente.