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du lieu eût eu peine à faire jouer les ressorts intérieurs, maniée par une main moins vigoureuse que celle de Saunders.

Elle fit les trois tours obligés, et la lourde grille, poussée par deux matelots, grinça sur ses gonds avec un bruit enroué.

Les matelots s’assirent sur leurs bancs et posèrent leurs avirons sur les bords de la yole, dans une symétrie parfaite, attendant le signal de nage. Saunders s’assit au gouvernail ayant Benedict à son côté.

Au moment où la barque, cédant à l’impulsion des rames, se mettait en mouvement, un rayon égaré de la lanterne ébaucha vaguement vers la poupe de la yole une sombre figure enveloppée d’un manteau rejeté sur l’épaule et coiffée d’un chapeau rabattu sur les yeux ; mais Saunders éteignit la lanterne et tout rentra dans l’ombre.

Au bout de quelques minutes, l’embarcation déboucha du sombre canal dans les eaux de la Tamise.

Le brouillard, déchiré par le vent, fuyait en lambeaux comme une étoile que la tempête emporte, dans un ciel bas, écrasé et noir comme la voûte d’un tombeau qu’enfument les torches des visiteurs ; cette coupole sinistre où des veines moins sombres figuraient les lézardes, semblait près de s’écrouler par immenses blocs sur la ville endormie, dont la silhouette d’ébène posée en scie de chaque côté du fleuve n’était plus piquée que de rares étincelles de lumière.

C’était une nuit horrible que cette nuit.

La Tamise roulait des vagues comme une mer ;