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si ce n’est deux lampées de rack, je crois que le gentleman eût préféré à tout une simple gorgée d’air.

Benedict, revenu au sentiment de sa situation, voulut résister ; mais huit bras vigoureux le poussèrent dans la chambre que nous avons décrite, et que les rameurs redescendus dans leur barque par le passage souterrain avaient laissée vide.

La porte se referma sur lui, et la clé grinça aigrement dans la serrure.

Encore tout chancelant, Benedict s’affaissa sur un coffre et s’accouda dans une attitude désespérée à la table encombrée de verres et de pots, restes de l’orgie de Noll et de Saunders.

Quelle transition étrange ! quel renversement subit de destinée !

Il y avait quelques minutes à peine, sir Benedict Arundell se trouvait dans une voiture luxueuse, en face d’une jeune fille adorable, bel ange qui voulait bien descendre des cieux pour lui, entouré d’amis et de connaissances, au milieu de l’éclat d’une assemblée aristocratique tellement haut placée, que les chances humaines ne semblaient pas pouvoir atteindre ceux qui la composaient ; et maintenant, par une perfidie inouïe, un guet-apens atroce, il était confiné dans un horrible bouge, où l’attendait sans doute une mort affreuse.

Benedict regardait d’un œil morne, à la lueur fauve du feu de charbon de terre qui s’éteignait, ces murailles sanguinolentes, suant le crime et le vice, où les gibets, les portraits d’assassins et de voleurs, les scènes de meurtre et de débauche