Page:Gautier - Les Cruautés de l'Amour, E. Dentu, 1879.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
les cruautés de l’amour

était ostensiblement le fiancé de sa prétendue cousine. Ces fiançailles simulées avaient achevé de porter le trouble dans son âme en précisant ses sentiments : il était amoureux d’une femme aussi inaccessible pour lui que pour le phalène obscur la lune resplendissante vers laquelle il s’efforce de monter dans la nuit. Le mouvement de folle rage qui s’était emparé de lui lorsqu’il avait vu Pénoutchkine entourer de ses bras la taille de Clélia l’avait éclairé définitivement sur l’état de son cœur : ce n’était pas l’irritation de voir insulter devant lui une noble demoiselle prise pour une paysanne, mais bien un sentiment de jalousie, douloureux et violent, qui l’avait animé.

Mais, dans cette journée si agitée, il y avait eu un moment plein de douceur dont André ne voulait pas se souvenir et auquel, malgré lui, il revenait sans cesse : un instant la jeune fille s’était appuyée sur sa poitrine, il avait respiré le parfum de ses cheveux et senti près de ses lèvres voltiger un souffle léger. Toute sa vie s’effaçait devant cette minute d’ivresse. Cependant, il se répéta cent fois que tout cela était de la folie, qu’il fallait chasser de son esprit ces pensées coupables, et, le lendemain, lorsqu’il se leva, après une nuit d’insomnie, il était résolu à dompter son cœur et à revenir à la raison.