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les cruautés de l’amour

— Je le jure sur ma vie. Mais par le ciel, quel malheur vous a frappée ? que faites-vous ici ?

— Je me suis enfuie de chez moi parce que l’on voulait me marier contre mon gré, voilà tout. Je tiens à disposer de moi-même.

— Vous avez mille fois raison et vous pouvez être sûre de ma discrétion, d’ailleurs vous êtes sur mes terres ; vous trahir serait manquer à tous les devoirs de l’hospitalité, mais pourquoi cet insolent moujik vous nomme-t-il sa fiancée ?

— Il a pris ce prétexte pour pouvoir me défendre, dit Clélia. Je vous prie, pardonnez-lui sa vivacité.

— Si ce n’était pas une telle bouche qui demande sa grâce, je le ferais envoyer et pour longtemps en Sibérie, dit le barine en reprenant l’idiome russe, mais vous avez sur moi un pouvoir dont vous ne vous doutez pas : depuis que je vous ai aperçue dans le monde, vous êtes pour moi l’étoile inaccessible qui brille à l’horizon. — Je dis cela tout franchement comme je le pense. — Aussi je consens à tout oublier pour vous prouver que je suis votre esclave.

Un sourire méprisant effleura les lèvres de la jeune fille.

— Tu entends ; André ? je te pardonne, continua Pénoutchkine en frappant sur l’épaule du jeune