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les cruautés de l’amour

— Tu es gentilhomme, n’est-ce pas, et capable de tenir un serment ? lui dit-elle en français.

— Si je suis gentilhomme, on ne s’en douterait guère à voir de quelle façon on me traite ici, dit le jeune homme encore tout tremblant de rage. Mais on s’en apercevra à la manière dont je me vengerai.

— Tu pardonneras à ce garçon, quand tu connaîtras les motifs qui l’ont fait agir.

— Ah çà ! qui es-tu, toi, pour me parler sur ce ton ? Est-ce que tu te crois mon égale, parce que tu as appris le français avec quelque femme de chambre de ta maîtresse ?

— Je suis ton égale, en effet, dit Clélia, et nous avons dû nous rencontrer souvent dans le monde. Mais, puisque tu ne me reconnais pas, je ne te dirai mon nom que si tu me jures de ne révéler à personne que je suis ici.

— Il me semble en effet connaître votre visage, dit le jeune homme en considérant plus attentivement Clélia. Mais… parfaitement ! vous êtes la comtesse Grégorowna. Il est impossible de vous oublier lorsqu’on vous a vue une fois.

— Vraiment ? dit Clélia avec un sourire moqueur, eh bien, me jurez-vous de ne jamais dire que je me suis réfugiée dans cette ferme ?