Page:Gautier - Les Cruautés de l'Amour, E. Dentu, 1879.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
les cruautés de l’amour

André avec une expression qui troubla le jeune homme.

— Elle se moque de moi, se dit-il.

Ils avaient dépassé les dernières maisons du village.

— Vous plaît-il de rentrer ? dit André. Vous avez vu tout ce qu’il y a à voir.

— Oh ! non, courons encore un peu, allons droit devant nous, dit Clélia.

André frappa ses chevaux avec les rênes repliées ; ils secouèrent leurs grelots et partirent ventre à terre. Le traîneau glissa dans la plaine, franchit une rivière, marquée seulement par une ondulation de la neige, traversa un étang gelé, puis entra bientôt dans la forêt de pins.

Rien n’était plus magnifique que cette forêt blanche éclairée obliquement par le soleil qui se couchait pareil à une braise. Des rayons couleur de sang et d’or jaillissaient entre les rangées d’arbres et faisaient de longues traînées sur la neige. Les lourdes branches des pins formaient d’admirables perspectives d’arceaux déchiquetés, de guirlandes d’argent en fusion, frappées de reflets d’un azur intense, et dans les facettes du givre le soleil faisait pétiller des milliers d’étincelles.

— Que c’est beau ! s’écria Clélia, et que c’est bon de courir ainsi comme des fous sur cette