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les cruautés de l’amour

de son cœur. Il craignait que la première phrase qui lui viendrait aux lèvres ne fût ou trop passionnée ou trop banale, et il se taisait. Cependant, craignant que son silence ne fût mal interprété, et sentant d’ailleurs le besoin de le rompre, il songea à la branche de laurier-rose.

— Je voulais vous remercier, mademoiselle, dit-il à voix basse, c’est pourquoi je suis venu ici, espérant vous rencontrer.

— De quoi donc me remercier, monsieur ? dit Juliette en levant ses yeux bleus vers lui.

— De la belle fleur que vous m’avez donnée et qui me rend tout heureux depuis hier.

— Je vous ai donné une fleur ? dit-elle en souriant.

— Quoi ! ne vous souvenez-vous pas ?

— Non, dit-elle, je ne vous ai rien donné ; je vous ai jeté quelque chose.

— Comme on jette une aumône à un malheureux ?

— Non, comme on jette une pierre à un indiscret qu’on veut chasser.

— Et vous me lanciez, pour me faire fuir, une fleur que vous veniez de mordre ? J’y ai retrouvé la trace de vos dents.

— Si je l’ai mordue, c’est probablement par colère.