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les cruautés de l’amour

Cependant il lui sembla que la jeune fille s’attardait beaucoup auprès du banc, et ornait, avec une grande lenteur, sa corbeille, tandis qu’au contraire, lorsque la recherche de quelques fleurs l’éloignait, elle les coupait au plus vite et revenait rapidement.

Maurice n’osa point se réjouir, il confessa qu’il était d’une fatuité révoltante.

Mais, une fois, Mlle Juliette, tenant une branche de laurier-rose toute humide, s’arrêta et regarda Maurice fixement. Le malheureux crut lire son arrêt de mort dans ce regard.

Il était prêt à se jeter à genoux pour demander grâce, lorsque tout à coup la jeune fille jeta la branche du côté de la palissade et s’enfuit. Maurice passa brusquement du désespoir à la joie. Tout tremblant, il saisit la bienheureuse branche au travers du treillage, et, en la baisant, il se mouilla le visage de rosée.

Rentré chez lui, il se tint à peu près ce discours :

— Je suis amoureux, c’est un fait. Puis-je encore arracher cet amour de mon cœur ? Je ne le crois pas. Et, d’abord, pourquoi voudrais-je l’arracher, cette fleur charmante qui me parfume et m’enivre ? Ne vaut-il pas mieux la cultiver, la soigner, afin que l’arbuste devienne un arbre superbe qui abri-