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les cruautés de l’amour

La jeune fille passa devant lui, puis s’éloigna et rentra dans la maison.

— C’est bien elle, se disait-il en s’en allant tout ému, je ne l’ai pas trouvée, je l’ai retrouvée. Je serais volontiers resté toute la journée à regarder traîner sa robe sur le sable de son jardin. Comme ses mouvements sont doux et prudents ! Je n’ai jamais vu personne marcher comme elle, on dirait qu’elle craint d’effaroucher les moucherons perdus dans l’air. Comme ses cheveux sont plus beaux, dénoués et rebelles, et que son sourire à demi fâché est d’une adorable étrangeté !

Jusqu’à l’heure où il s’endormit Maurice continua sa petite conversation mentale. Il récapitulait, discutait, dialoguait, et le résultat de son monologue fut qu’il se retrouva le lendemain devant le treillage du jardin.

Ce jour-là, il la vit armée d’une grande paire de ciseaux, et occupée à couper des fleurs qu’elle venait ensuite disposer dans une corbeille posée sur un banc qui se trouvait à quelques pas de Maurice.

Le jeune homme s’aperçut bientôt qu’il était remarqué, car Mlle Juliette tournait souvent la tête vers lui d’un air surpris et inquiet.

— Je suis d’une indiscrétion impardonnable ! se dit Maurice sans bouger de place.