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les cruautés de l’amour

— J’ai deux trotteurs qui vous dévorent une verste comme j’avale un verre de thé.

— Vous avez bien un traîneau ?

— Il y en a plusieurs.

— Eh bien, prends le plus léger et attelles-y tes chevaux. Tu vas me reconduire jusqu’à la maison de poste de L… Il y a loin, mais les nuits d’hiver sont longues. Tu seras de retour au petit jour.

— Pourquoi ne t’en vas-tu pas avec nos chevaux ? dit Clélia.

— Ah ! barynia, parce que j’ai songé à tout ce qu’il t’a plu d’oublier. Je veux laisser croire au château que tu es partie toute seule et il faut que l’équipage ne reparaisse pas. À la maison de poste, à de quelques roubles, j’ordonnerai aux palefreniers et aux serviteurs de dire, si on les questionne, qu’une dame a passé au milieu de la nuit, qu’elle a demandé un verre de thé, puis a continué sa course par la route qui mène à la station du chemin de fer et qu’elle doit avoir passé la frontière prussienne. Ensuite je rentrerai sans être vu au château et je serai bien étonné demain lorsque j’apprendrai votre disparition, on enverra aux renseignements et comme on vous croira hors de la Russie, on ne viendra pas vous chercher ici.

— Sais-tu que tu as de l’esprit, Pavel ? Tu as, ma