Page:Gautier - Les Cruautés de l'Amour, E. Dentu, 1879.djvu/262

Cette page a été validée par deux contributeurs.
250
les cruautés de l’amour

s’est logé dans une créature, la faim, le sommeil, la peur, la prudence, tous ces honnêtes et utiles instincts, cèdent la place sachant qu’elle n’est plus tenable. Ainsi, qu’on prenne deux jeunes fiancés à la veille de leur union et qu’on les transporte dans un cachot, sur un rocher, en haut d’un mât ; pourvu qu’ils soient ensemble, ils se trouveront bien partout, surtout dans une île déserte, et ils ne s’apercevront des anthropophages que lorsqu’ils sentiront des dents s’enfoncer dans leur dos.

J’en étais là de mes réflexions lorsque je me sentis mordre violemment à l’épaule. Je hurlai d’épouvante et de douleur ! Les poules glapirent. Milady se précipita à peine vêtue de son arbre et me mit un pistolet dans la main. Je me retournai pour faire face à mon adversaire. Alors, à la terreur succédèrent des éclats de rire sans fin. Plongé dans mon rêve amoureux, je m’étais assis sans regarder où, et j’avais à moitié écrasé le pauvre singe, qui s’était vengé comme il avait pu.

— Je vous ai bien cru croqué, cette fois, dit milady.

Nous nous tenions les côtes, mais tout à coup la jeune femme s’apercevant de la légèreté de son costume, remonta toute honteuse sur son arbre.

Je passai le reste de la journée à faire des préparatifs pour le lendemain.