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les cruautés de l’amour

sur les branches, cette douce déclaration : « Milady aime Aurélien ; » je ne regrettais plus du tout ma vie passée, ni le boulevard. Les heures s’écoulaient délicieusement. Tantôt nous sommeillions l’un près de l’autre en nous tenant la main, tantôt nous nous poursuivions comme des enfants, à travers les vagues mousseuses. Parfois, c’étaient de longues et tendres promenades, le soir, au clair de lune, près de la mer. L’île déserte devenait l’île enchantée.

Mais un jour, où appuyée sur moi, elle souriait et baissait les yeux aux discours passionnés que je lui tenais, elle me serra subitement le bras, et, regardant fixement le sol, elle s’interrompit de marcher.

— Voyez ! voyez ! me dit-elle d’une voix émue.

J’éloignai avec peine mon regard de son visage et je le tournai vers la terre. Je ne pus retenir un cri : des empreintes de pieds nus étaient marquées distinctement et comme moulées dans le sable. Nous nous regardâmes avec effroi.

— N’est-ce pas nous-mêmes, dit milady, qui avons laissé la trace de nos pas un jour après le bain ?

— Ah ! Juliette ! m’écriai-je, ne m’insultez-pas. Le pied qui a laissé ces traces est deux fois grand comme