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les cruautés de l’amour

et ma compagne mit le pied sur le premier degré d’une échelle que nous venions d’accrocher au flanc du navire. Mais tout à coup elle remonta.

— Et le singe ? dit-elle, et le perroquet ? il faut ressembler tout à fait à Robinson.

— C’est juste, dis-je.

Et j’allai chercher nos compagnons de malheur. Milady mit le singe sur son dos, je mis le perroquet sur ma tête, et, après avoir décroché le radeau, nous nous mîmes à le pousser en nageant vers la terre.

Nous échappions à un péril, pour tomber dans un péril plus grand encore, peut-être. La peur d’être mangé allait succéder à la peur d’être noyé ; les cannibales dans nos cauchemars, remplaceraient les requins.

Soulevés et abaissés alternativement par les lames, nous voyions la première des îles Fidji, apparaître et disparaître à nos yeux, selon que nous étions sur un sommet ou dans un bas-fond. J’examinai cependant la côte le mieux que je pus. Elle était plate et ne montrait qu’une ondulation dorée se prolongeant de chaque côté aussi loin que le regard pouvait aller. Aucun rocher n’égratignait la mer, et la dernière vague s’écroulait sur le sable en écumant à peine.

Un peu en avant, dans les terres, s’élevait une