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les cruautés de l’amour

— Je ne suis pas digne de cet amour, dit la jeune fille, l’honneur que tu me fais m’écrase. Je t’en conjure, ne t’occupe plus de moi.

— J’ai entendu ta chanson tout à l’heure, dit l’empereur en fronçant le sourcil ; pour la première fois j’ai connu la jalousie. Ton bien-aimé est loin, disais-tu, il serait mort si je savais son nom : efface ce nom de ta mémoire et essuie tes larmes ; je vais te conduire dans mon palais et te placer parmi mes épouses. La résistance est inutile, je suis le maître et je t’aime.

— Hélas ! murmura Lon-Foo, je suis perdue !

L’empereur fit un signe et aussitôt les rivages se couvrirent de monde, une musique joyeuse éclata soudain, des jonques pavoisées, ouvrant comme une aile leur grande voile en natte de bambou, s’avancèrent de tous côtés, chargées de mandarins et de hauts fonctionnaires en costumes de cérémonie.

En se voyant la prisonnière de cette foule, soumise à l’empereur, Lon-Foo, désespérée, leva les yeux au ciel.

— Mon cher Li-Tso-Pé, s’écria-t-elle, Dieu veuille que nos âmes se rejoignent un jour, car dans ce monde nous ne nous reverrons plus !