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les cruautés de l’amour

Lon-Foo ne dormit pas. Dès la première lueur du matin, elle se leva, ôta ses vêtements de soie et endossa le costume de fille du peuple ; puis sans bruit, elle sortit de la maison.

Le faubourg était désert encore ; quelques chiens hâves, furetant dans les ruisseaux, peuplaient seuls les ruelles misérables. La jeune fille se hâta de quitter ce quartier sordide et gagna une large avenue qui descendait vers le fleuve. Bientôt le Fils aîné de l’Océan roula devant elle ses ondes d’azur.

Le ciel matinal jetait des reflets argentés sur le fleuve ; une brise presque insensible faisait courir un frisson à la surface de l’eau et déformait le mirage d’une pagode située sur la rive. Dans les joncs, des oiseaux aquatiques piaillaient et battaient des ailes ; des grues s’envolaient du faîte des arbres en poussant de longs cris, et à l’horizon les hautes montagnes se profilaient vaguement parmi les brumes lilas et roses de l’Orient.

Lon-Foo s’assit sur l’herbe, au bord du fleuve Bleu, et songea. Qu’allait-elle devenir seule, si jeune, ne connaissant rien de la vie ? Elle savait jouer au volant, cultiver des fleurs, élever des oiseaux rares, mais elle n’était apte à aucun travail manuel en rapport avec sa nouvelle condition.