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les cruautés de l’amour

tuer ? ton amour s’est donc changé en haine ? que t’ai-je fait ? Je n’aime que toi au monde. Toute ma vie est suspendue à la tienne, et tu me fuis sans un mot, sans un adieu. Ah ! André ! est-ce bien possible, tu as fait cela ?

Elle appuya sa tête sur la poitrine du jeune homme en sanglotant.

— Clélia, dit-il, je vous en conjure, ayez pitié de vous-même ; laissez-moi partir.

— Tu es fou, dit-elle en resserrant son étreinte. Essaye donc de me détacher de toi. Pars si tu veux d’ailleurs, je te suivrai.

— Vous ne pouvez être la femme d’un fils d’esclaves, dit-il en essayant de dénouer l’étreinte qui le brûlait.

— Tais-toi ! tu ne l’es plus, s’écria-t-elle, tes parents sont libres désormais.

— Que dites-vous ?

— Je dis ce qui est vrai. La ferme où tu es né, ce lieu charmant où j’ai trouvé l’amour, elle est à nous ; elle appartient à ton père. Katia est libre, Fedor et Macha sont libres, et le petit garçon qui a de si jolis yeux bleus est libre aussi. Ton père est riche, il me l’a dit. Tu vois bien que nous sommes à présent des égaux et que rien ne s’oppose plus à notre bonheur, excepté ta haine, car il est évident que tu me hais.