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les cruautés de l’amour

leva et salua le gouverneur d’un air surpris que celui-ci trouva on ne peut plus digne et affable.

— Est-ce que ce monsieur a toute sa raison ? demanda André à Ovnikof en regardant le gouverneur qui, par respect, s’éloigna aussitôt en jetant au jeune homme des regards chargés de reconnaissance.

— Il vous prend pour le grand Mogol, dit Ovnikof en mettant son mouchoir sur ses lèvres pour dissimuler un rire invincible… Ah ! voilà la baronne Karolowna qui va nous jouer quelque chose, ajouta-t-il. Aimez-vous la musique ?

— Est-ce qu’il existe au monde un être humain qui ne soit pas charmé par la musique ? s’écria le jeune homme.

— Venez, Clélia nous fait signe de nous approcher du piano.

La baronne joua avec beaucoup d’entrain l’ouverture d’un opéra de Glinka, puis on pria Clélia de chanter.

Elle refusa d’abord, puis se ravisa tout à coup et se leva.

— C’est pour toi seul que je chante, dit-elle à voix basse à André en passant auprès de lui.

Elle s’assit au piano et chanta avec un singulier emportement un lied d’Asantchewski, jeune compositeur russe déjà célèbre. C’était un cri de joie