Page:Gautier - Les Cruautés de l'Amour, E. Dentu, 1879.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.
124
les cruautés de l’amour

sonné, moi ? Toute objection qui s’oppose au bonheur doit être rejetée comme une folie. Nous nous aimons, voilà une raison sans réplique. Privés l’un de l’autre, nous ne pouvons vivre : il est tout simple de nous lier à jamais. Que signifient de pareilles hésitations ? Ne vas-tu pas dire aussi que je suis plus riche que toi ?

— Songez donc à ce que je suis…

— Tu es l’homme que j’aime.

— Oh ! ne dites pas cela ! Ces mots sont une dérision dans votre bouche. Je vous aime trop pour vouloir profiter d’un moment d’attendrissement qui vous égare. J’ai eu le douloureux bonheur de vous connaître, je dois en mourir, et je ne me plains pas de ma destinée.

— Alors, tu t’imagines que je ne t’aime pas ; que les larmes que j’ai versées ne sont pas de vraies larmes ; que le sentiment profond qui pour la première fois a fait battre mon cœur, n’est qu’un caprice passager ; que la douce joie qui m’enveloppe quand je suis près de toi n’est rien ; que l’épouvante qui glace mon sang lorsque je crains de te perdre est une illusion ? Enfin, tu ne veux pas croire à mon amour ?

— Ah ! Clélia ! vous me tuez, murmura le jeune homme, pris de faiblesse, en se renversant tout pâle dans le fauteuil.