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les cruautés de l’amour

rai plus supporter leur regard bon et loyal, s’écria-t-elle, moi qui suis la cause de leur malheur.

— Que dites-vous donc, barynia ? murmura André, est-ce votre faute si j’ai été assez maladroit pour ne pas savoir tenir un fusil ?

— Ah ! docteur, entendez-vous ce qu’il dit ? s’écria la jeune fille.

— Il me plaît infiniment ce garçon-là, dit Ovnikof à demi voix.

Ivan et Catherine entrèrent bientôt, ils osaient à peine marcher sur ces tapis profonds, il leur semblait que le plancher s’enfonçait, et par respect, ils retenaient leurs larmes.

Clélia courut à eux et les embrassa.

— Qui eût dit que nous nous reverrions si tôt ? s’écria-t-elle en pleurant.

— Ah ! Seigneur, qu’il est pâle ! qu’il est changé ! dit Catherine en apercevant son fils.

— André ! André ! mon fils unique ! balbutia Ivan en se cachant le visage dans ses mains.

— Il n’y a pas de quoi pleurer, dit André, quel est l’homme à qui il n’est pas arrivé un malheur une fois dans sa vie ? Il faut remercier Dieu au contraire qui a permis que l’on vînt à mon secours, et que je meure du moins au milieu de ceux que j’aime.

— Ah ! ne parle pas de mourir, André ! s’écria Clélia.