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LE CAPITAINE FRACASSE.

dessiné des îles inconnues et des fleuves qu’on ne rencontre en aucune carte géographique. Aux endroits à portée de la main, les locataires successifs du taudis s’étaient amusés à graver au couteau leurs noms incongrus, baroques ou hideux, par suite de ce penchant qui pousse les plus obscurs à laisser une trace de leur passage en ce monde. À ces noms souvent était accolé un nom de femme, Iris de carrefour, que surmontait un cœur percé d’une flèche semblable à une arête de poisson. D’autres, plus artistes, avec un bout de charbon retiré des cendres, avaient essayé de croquer quelque profil grotesque, une pipe entre les dents, ou quelque pendu tirant la langue et gambadant au bout d’une potence.

Sur le bord de la cheminée, où fumaient en bavant les branches d’un cotret volé, s’entassait dans la poussière un monde d’objets bizarres : une bouteille ayant, plantée dans le goulot, une chandelle à demi consumée, dont le suif avait coulé en larges nappes sur le verre, vrai flambeau d’enfant prodigue et de biberon ; un cornet de tric-trac, trois dés plombés, les Heures de Robert Besnières, à l’usage du lansquenet, un fagot de bouts de vieilles pipes, un pot en grès à mettre du pétun, un chausson renfermant un peigne édenté, une lanterne sourde arrondissant sa lentille comme une prunelle d’oiseau de nuit, des paquets de clefs, sans doute fausses, car il n’y avait en la chambre aucun meuble à ouvrir, un fer à relever la moustache, un angle de miroir au tain rayé comme par les griffes d’un diable, où l’on ne pouvait se voir