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LE CAPITAINE FRACASSE.

d’être rendu aux galères d’où il l’avait tiré s’il ne le défaisait de Sigognac, se résolut à requérir l’aide d’un brave de ses amis, à qui nulle entreprise ne répugnait, quelque hasardeuse qu’elle fût, si elle était bien payée. Il ne se sentait pas de force à venir à bout du Baron, qui d’ailleurs le connaissait maintenant, ce qui en rendait l’approche difficile, vu qu’il était sur ses gardes.

Mérindol alla donc à la recherche de ce spadassin qui demeurait place du Marché-Neuf, près du Petit-Pont, endroit peuplé principalement de bretteurs, filous, tireurs de laine et autres gens de mauvaise vie.

Avisant parmi les hautes maisons noires, qui s’épaulaient comme ivrognes ayant peur de tomber, une plus noire, plus délabrée, plus lépreuse encore que les autres, dont les fenêtres, débordant d’immondes guenilles, ressemblaient à des ventres ouverts laissant couler leurs entrailles, il s’engagea dans l’allée obscure qui servait d’entrée à cette caverne. Bientôt le jour venant de la rue s’éteignit, et Mérindol, tâtant les murailles suantes et visqueuses comme si des limaçons les eussent engluées de leur bave, trouva parmi l’ombre la corde tenant lieu de rampe à l’escalier, corde qu’on pouvait croire détachée d’un gibet et suiffée de graisse humaine. Il se hissa comme il put par cette échelle de meunier, trébuchant à chaque pas sur les bosses et callosités qu’avait formées à chaque marche la vieille boue entassée là, couche à couche, depuis le temps où Paris s’appelait Lutèce.

Cependant, à mesure que Mérindol avançait dans