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LE CAPITAINE FRACASSE.

breuse qui voulait se donner le plaisir de faire passer son char sur le corps de son ennemi.

— Quelle pensée avez-vous là, seigneur Hérode ! fit Sigognac ; ce serait une action basse, infâme et scélérate, par trop indigne d’un gentilhomme de grande maison comme est, après tout, ce Vallombreuse. D’ailleurs, ne l’avons-nous pas laissé en son hôtel de Poitiers, assez mal accommodé de sa blessure ? comment se trouverait-il déjà à Paris, où nous ne sommes arrivés que d’hier ?

— Ne nous sommes-nous point arrêtés assez longtemps à Orléans et à Tours, où nous avons donné des représentations, pour qu’il ait pu, avec les équipages dont il dispose, nous suivre et même nous devancer ? Quant à sa blessure, soignée par les plus excellents médecins, elle a dû bientôt se fermer et se cicatriser. Elle n’était pas, d’ailleurs, de nature assez dangereuse pour empêcher un homme jeune et plein de vigueur de voyager tout à son aise en carrosse ou en litière. Il faut donc, mon cher Capitaine, vous bien tenir sur vos gardes, car on cherche à vous monter quelque coup de Jarnac ou à vous faire tomber en quelque embûche sous forme d’accident. Votre mort livrerait sans défense Isabelle aux entreprises du duc. Que pourrions-nous contre un si puissant seigneur, nous autres pauvres histrions ? S’il est douteux que Vallombreuse soit à Paris, ses émissaires, du moins, l’y remplacent, puisque cette nuit même, si vous n’aviez pas veillé sous les armes, ému d’un juste soupçon, ils vous auraient gentiment égorgillé en votre chambrette. »