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LE PONT-NEUF.

comme par mégarde quelque botte assassine, et, au besoin, ses camarades vous auraient achevé. Le tout eût été mis sur le dos d’une rencontre et rixe fortuite. En de telles algarades, celui qui a reçu les coups les garde. La préméditation et le guet-apens ne se peuvent prouver.

— Cela me répugne, répondit le généreux Sigognac, de croire un gentilhomme capable de cette bassesse de faire assassiner son rival par des gladiateurs. S’il n’est pas satisfait d’une première rencontre, je suis prêt à croiser de nouveau le fer avec lui, jusqu’à ce que la mort de l’un ou de l’autre s’ensuive. C’est ainsi que les choses se passent entre gens d’honneur.

— Sans doute, répliqua Hérode, mais le duc sait bien, quelque enragé qu’il soit d’orgueil, que l’issue du combat ne pourrait manquer de lui être funeste. Il a tâté de votre lame et en a senti la pointe. Croyez qu’il conserve de sa défaite une rancune diabolique, et ne sera pas délicat sur les moyens d’en tirer vengeance.

— S’il ne veut pas l’épée, battons-nous à cheval au pistolet, dit Sigognac, il ne pourra ainsi arguer de ma force à l’escrime. »

En discourant de la sorte, les deux compagnons gagnèrent le quai de l’École, et là un carrosse faillit écraser Sigognac, encore qu’il se fût rangé promptement. Sa taille mince lui valut de n’être pas aplati sur la muraille, tant la voiture le serrait de près, bien qu’il y eût de l’autre côté assez de place, et que le cocher, par une légère inflexion imprimée à ses che-