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LE PONT-NEUF.

verses, le nombre des cavaliers et des piétons qui se croisaient tumultueusement sur le bord du fleuve ou dans les rues qui le longent et où s’engageait parfois le chariot pour prendre le plus court, les cris de toute cette foule l’éblouissaient et l’étourdissaient, lui, accoutumé à la vaste solitude des landes et au silence mortuaire de son vieux château délabré. Il lui semblait qu’une meule de moulin tournât dans sa tête et il se sentait chanceler comme un homme ivre. Bientôt l’aiguille mignonnement ouvrée de la Sainte-Chapelle s’élança par-dessus les combles du palais pénétrée par les dernières lueurs du couchant. Les lumières qui s’allumaient piquaient de points rouges les façades sombres des maisons, et la rivière réfléchissait ces lueurs en les allongeant comme des serpents de feu dans ses eaux noires.

Bientôt se dessinèrent dans l’ombre, le long du quai, l’église et le cloître des Grands-Augustins, et sur le terre-plein du Pont-Neuf, Sigognac vit à sa droite s’ébaucher à travers l’obscurité croissante la forme d’une statue équestre, celle du bon roi Henri IV ; mais le chariot tournant l’angle de la rue Dauphine nouvellement percée sur les terrains du couvent fit bientôt disparaître le cavalier et le cheval.

Il y avait dans le haut de la rue Dauphine, près de la porte de ce nom, une vaste hôtellerie où descendaient parfois les ambassades des pays extravagants et chimériques. Cette auberge pouvait recevoir à l’improviste de nombreuses compagnies. Les bêtes y étaient toujours sûres de trouver du foin au râtelier et