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UNE TÊTE DANS UNE LUCARNE.

fixait les yeux avec une telle insistance sur ma loge, que je me suis retirée en toute hâte pour ne pas être surprise. La prudence, si contraire à l’amour, nous prescrit de ne pas nous voir, cette nuit, au pavillon. Vous pourriez être épié, suivi, tué peut-être, sans parler des dangers que moi-même je puis courir. En attendant des occasions plus heureuses et plus commodes, veuillez bien porter cette chaîne d’or à trois tours que mon page vous remettra. Puisse-t-elle, toutes les fois que vous la mettrez à votre col, vous faire souvenir de celle qui ne vous oubliera jamais et vous aimera toujours.

Celle qui, pour vous, n’est que Marie. »


Hélas ! voilà mon beau roman fini, se disait Léandre en donnant quelque monnaie au laquais dont il avait emprunté le falot ; c’est dommage ! Ah ! charmante marquise, comme je vous eusse aimée longtemps ! continua-t-il quand le valet fut éloigné, mais les destins jaloux de mon bonheur ne l’ont point permis ; soyez tranquille, madame, je ne vous compromettrai point par des flammes indiscrètes. Ce brutal de mari me navrerait sans pitié et plongerait le fer en votre blanche poitrine. Non, non, point de ces tueries sauvages, mieux faites pour les tragédies que pour la vie commune. Dût mon cœur en saigner, je ne chercherai point à vous revoir, et me contenterai de baiser cette chaîne moins fragile et plus pesante que celle qui nous a un instant unis. Combien peut-elle valoir ? Mille ducats pour le moins, à en juger par sa lourdeur ! Comme