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LE CHÂTEAU DU BONHEUR.

Vers le matin, Béelzébuth, en proie à une agitation étrange, quitta le fauteuil où il avait passé la nuit, et grimpa péniblement sur le lit. Arrivé là, il heurta de son nez la main de son maître endormi encore, et il essaya un ron-ron qui ressemblait à un râle. Sigognac s’éveilla et vit Béelzébuth le regardant comme s’il implorait un secours humain, et dilatant outre mesure ses grands yeux verts vitrés déjà et à demi éteints. Son poil avait perdu son brillant lustré et se collait comme mouillé par les sueurs de l’agonie ; il tremblait et faisait pour se tenir sur ses pattes des efforts extrêmes. Toute son attitude annonçait la vision d’une chose terrible. Enfin il tomba sur le flanc, fut agité de quelques mouvements convulsifs, poussa un sanglot semblable au cri d’un enfant égorgé, et se roidit comme si des mains invisibles lui distendaient les membres. Il était mort. Ce hurlement funèbre interrompit le sommeil de la jeune femme.

« Pauvre Béelzébuth, dit-elle en voyant le cadavre du chat, il a supporté la misère de Sigognac, il n’en connaîtra pas la prospérité ! »

Béelzébuth, il faut l’avouer, mourait victime de son intempérance. Une indigestion l’avait étouffé. Son estomac famélique n’était pas habitué à de telles frairies.

Cette mort toucha Sigognac plus qu’on ne saurait dire. Il ne pensait point que les animaux fussent de pures machines, et il accordait aux bêtes une âme de nature inférieure à l’âme des hommes, mais capable cependant d’intelligence et de sentiment. Cette opi-