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LE CAPITAINE FRACASSE.

cette activité silencieuse qui caractérisait son service. C’était maintenant une belle fille que Chiquita. Son teint, que ne tannaient plus les intempéries des saisons, s’était éclairci, tout en gardant cette pâleur vivace et passionnée que les peintres admirent fort. Ses cheveux, qui avaient fait connaissance avec le peigne, étaient proprement retenus par un ruban rouge dont les bouts flottaient sur sa nuque brune ; à son col, on voyait toujours le fil de perles donné par Isabelle, et qui, pour la bizarre jeune fille, était le signe visible de son servage volontaire, une sorte d’emprise que la mort seule pouvait rompre. Sa robe était noire et portait le deuil d’un amour unique. Sa maîtresse ne l’avait pas contrariée en cette fantaisie. Chiquita, n’ayant plus rien à faire dans la chambre, se retira après avoir baisé la main d’Isabelle, comme elle n’y manquait jamais chaque soir.

Lorsque Sigognac rentra dans cette chambre où il avait passé tant de nuits solitaires et tristes, écoutant les minutes longues comme des heures, tomber goutte à goutte, et le vent gémir lamentablement derrière la vieille tapisserie, il aperçut, à la lueur d’une lanterne de Chine suspendue au plafond, entre les rideaux de brocatelle verte et blanche, la jolie tête d’Isabelle qui se penchait vers lui avec un chaste et délicieux sourire.

C’était la réalisation complète de son rêve, alors que, n’ayant plus d’espoir et se croyant à jamais séparé d’Isabelle, il regardait le lit vide avec une mélancolie profonde. Décidément, le destin faisait bien les choses !