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LE CHÂTEAU DU BONHEUR.

s’étaient glissés dans la salle, et, malgré la peur que leur inspirait cette splendide et nombreuse compagnie, venaient réclamer de leur maître leur part du festin. Sigognac opulent n’avait garde de repousser ces humbles amis de sa misère ; il flatta Miraut de la main, gratta le crâne essorillé de Béelzébuth, et leur fit à tous deux une abondante distribution de bons morceaux. Les miettes consistaient cette fois en lardons de pâté, en reliefs de perdrix, en filets de poisson et autres mets succulents. Béelzébuth ne se sentait pas d’aise et, de sa patte griffue, il réclamait toujours quelque nouveau rogaton, sans lasser l’inaltérable patience de Sigognac, que cette voracité amusait. Enfin, gonflé comme une outre, marchant à pas écarquillés, pouvant à peine filer son rouet, le vieux chat noir se retira dans la chambre tapissée en verdure de Flandre, et se roula en boule à sa place accoutumée pour digérer cette copieuse réfection.

Vallombreuse tenait tête au marquis de Bruyères, et les hobereaux ne se lassaient pas de porter la santé des époux avec des rouges bords, à quoi Sigognac, sobre de nature et d’habitude, répondait en trempant le bout de ses lèvres dans son verre toujours plein, car il ne le vidait jamais. Enfin les hobereaux, la tête pleine de fumées, se levèrent de table chancelants, et gagnèrent, un peu aidés des laquais, les appartements qu’on avait préparés pour eux.

Isabelle, sous prétexte de fatigue, s’était retirée au dessert. Chiquita, promue à la dignité de femme de chambre, l’avait défaite et accommodée de nuit, avec