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LE CAPITAINE FRACASSE.

La chevauchée, grossie de cinq ou six personnes en habit de gala, car les hobereaux s’étaient faits les plus braves qu’ils avaient pu, prenait un air cérémonieux et magnifique. C’était un vrai cortège de princesse. On parcourut, en suivant un chemin bien entretenu, des prés verdoyants, des terres auxquelles la culture avait rendu la fertilité, des métairies en plein rapport, des bois savamment aménagés.

Tout cela appartenait à Sigognac. La lande, avec les bruyères violettes, semblait s’être reculée du château.

Comme on passait dans un bois de sapins, sur la limite de la baronnie, des abois de chiens se firent entendre, et bientôt parut Yolande de Foix, suivie de son oncle le commandeur et d’un ou deux galants. Le chemin était étroit et les deux troupes se frôlèrent en sens inverse, bien que chacune tâchât de faire place à l’autre. Yolande, dont le cheval piaffait et se cabrait, effleura de sa jupe la jupe d’Isabelle. Le dépit empourprait ses joues, et sa colère cherchait quelque insulte, mais Isabelle avait une âme au-dessus des vanités féminines ; l’idée de se venger du regard dédaigneux qu’Yolande avait autrefois laissé tomber sur elle avec ce mot : « bohémienne, » presque à cette même place, ne lui vint seulement pas à l’esprit ; elle pensa que ce triomphe d’une rivale pouvait blesser, sinon le cœur, du moins l’orgueil d’Yolande, et d’un air digne, modeste et gracieux, elle salua mademoiselle de Foix, qui fut bien forcée, ce dont elle manqua enrager, de répondre par une légère inclination de tête. Le baron de Sigognac lui fit, d’un air détaché