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LE CHÂTEAU DU BONHEUR.

peut verser la corbeille de Flore. Au fond du jardin, la Pomone, guérie de sa lèpre, étalait sa blanche nudité de déesse. Un nez de marbre adroitement soudé lui restituait son profil à la grecque. Il y avait en son panier des fruits sculptés et non plus des champignons vénéneux. Le mufle de lion vomissait dans sa vasque une eau abondante et pure. Des plantes grimpantes, balançant des clochettes de toutes couleurs et accrochant leurs vrilles à un treillage solide peint en vert, cachaient pittoresquement la muraille de clôture et donnaient un air agréablement rustique au cabinet de rocailles servant de niche à la statue. Jamais, même en leurs beaux jours, le château ni le jardin n’avaient été accommodés avec tant de richesse et de goût. La splendeur de Sigognac, si longtemps éclipsée, brillait de tout son éclat !

Sigognac, étonné et ravi comme s’il marchait dans un rêve, serrait contre son cœur le bras d’Isabelle et laissait couler sans honte, sur ses joues, deux larmes d’attendrissement.

« Maintenant, dit Isabelle, que nous avons tout bien vu, il faut visiter les domaines que j’ai rachetés sous main, pour reconstituer, telle qu’elle était ou peu s’en faut, l’antique baronnie de Sigognac. Permettez-moi d’aller mettre un habit de cheval. Je ne serai pas longue, ayant par mon premier métier l’habitude de changer prestement de costume. Pendant ce temps, choisissez vos montures et faites-les seller. »

Vallombreuse emmena Sigognac, qui vit dans l’écurie, naguère déserte, dix beaux chevaux séparés