Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/374

Cette page a été validée par deux contributeurs.
367
LE CHÂTEAU DU BONHEUR.

pourtant à sa mémoire. La route aplanie n’offrait plus d’ornières. Les haies élaguées laissaient passer le voyageur sans l’égratigner de leurs griffes. Les arbres, taillés avec art, jetaient une ombre correcte, et leur arcade encadrait une vue tout à fait nouvelle.

Au lieu de la triste masure dont on se rappelle la description lamentable, s’élevait, sous un gai rayon de soleil, un château tout neuf, ressemblant à l’ancien comme un fils ressemble à son père. Cependant rien n’avait été changé dans sa forme. Il présentait toujours la même disposition architecturale ; seulement, en quelques mois, il avait rajeuni de plusieurs siècles. Les pierres tombées s’étaient remises en place. Les tourelles sveltes et blanches, coiffées d’un joli toit d’ardoises dessinant des symétries, se tenaient fièrement, comme des gardiennes féodales, aux quatre coins du castel, dressant dans l’azur leurs girouettes dorées. Un comble orné d’une élégante crête en métal avait fait disparaître le vieux toit effondré de tuiles lépreuses et moussues. Aux fenêtres, désobstruées de leurs fermetures en planches, brillaient des vitres neuves encadrées de plomb, formant des ronds et des losanges ; aucune lézarde ne bâillait sur la façade complètement restaurée. Une superbe porte en chêne, soutenue de riches ferrures, fermait le porche qu’autrefois laissaient ouvert deux vieux battants vermoulus à la peinture délavée. Sur le claveau de l’arcade, au milieu de ses lambrequins refouillés par un ciseau intelligent, rayonnaient les armoiries des Sigognac : trois cigognes sur champ d’azur, avec cette noble devise,