Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/373

Cette page a été validée par deux contributeurs.
366
LE CAPITAINE FRACASSE.

où je vous vis pour la première fois, place à jamais sacrée que volontiers je marquerais d’un autel.

— Pour moi, reprit Isabelle, je me suis demandé bien souvent si l’églantier du jardin avait encore des roses.

— Il en a, dit Sigognac, j’en jurerais ; ces arbustes agrestes sont vivaces, et d’ailleurs, ayant été touché par vous, il doit toujours produire des fleurs, même pour la solitude.

— À l’encontre des époux ordinaires, répondit en riant la baronne de Sigognac, vous êtes plus galant après le mariage qu’avant, et vous poussez des madrigaux à votre femme comme à une maîtresse. Puisque votre désir s’accorde avec mon caprice, vous plairait-il de partir cette semaine ? La saison est belle, les fortes chaleurs sont passées, et nous ferons agréablement le voyage. Vallombreuse viendra avec nous et j’emmènerai Chiquita, à qui cela fera plaisir de revoir son pays. »

Les préparatifs furent bientôt faits. On se mit en route. Le voyage fut rapide et charmant ; Vallombreuse ayant fait disposer d’avance des relais de chevaux, au bout de quelques jours on arriva à cet endroit où s’embranchait, sur le grand chemin, l’allée conduisant au manoir de Sigognac. Il pouvait être deux heures de l’après-midi, et le ciel brillait d’une vive lumière.

Au moment où le carrosse tourna pour entrer dans l’allée et où la perspective du château se découvrit tout d’un coup, Sigognac eut comme un éblouissement ; il ne reconnaissait plus ces lieux si familiers