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LE CAPITAINE FRACASSE.

pauvreté qui m’a valu d’intéresser votre âme, chère Isabelle ; je la bénis ; je lui dois tout.

— M’est avis, dit Vallombreuse, que je ferais bien d’aller saluer mon père et de le prévenir de votre arrivée, à laquelle il s’attend un peu, je l’avoue. Ah çà, comtesse, il est bien sûr que vous acceptez le baron de Sigognac pour époux ? je ne voudrais pas faire un pas de clerc. Vous l’acceptez ? c’est bien. Alors je puis me retirer : des fiancés ont parfois à se dire des choses très-innocentes, mais que gênerait la présence d’un frère ; je vous laisse l’un à l’autre, certain que vous me remercierez, et puis, le métier de duègne n’est pas mon affaire. Adieu ; je reviendrai bientôt prendre Sigognac pour le mener au prince. »

Après avoir jeté ces mots d’un air dégagé, le jeune duc se coiffa de son feutre et sortit en laissant ces parfaits amants à eux-mêmes. Quelque agréable que fût sa compagnie, son absence l’était encore davantage.

Sigognac se rapprocha d’Isabelle et lui prit la main qu’elle ne retira point. Pendant quelques minutes le jeune couple se regarda avec des yeux ravis. De tels silences sont plus éloquents que des paroles ; privés si longtemps du plaisir de se voir, Isabelle et Sigognac ne pouvaient se rassasier l’un de l’autre ; enfin le Baron dit à sa jeune maîtresse :

« J’ose à peine croire à tant de félicité. Oh ! la bizarre étoile que la mienne ! vous m’avez aimé parce que j’étais pauvre et malheureux, et ce qui devait consommer ma perte est cause de ma fortune. Une troupe de comédiens me réservait un ange de beauté