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LE CAPITAINE FRACASSE.

suis maintenant un riche parti retient-elle son courage. S’il m’avait oubliée ! Oh ! non ; c’est impossible. J’aurais dû lui faire savoir que Vallombreuse était guéri de sa blessure ; mais il n’est pas séant à une jeune personne bien née de provoquer ainsi un amant éloigné à reparaître : cela blesserait toutes les délicatesses féminines. Souvent je me demande s’il n’eût pas mieux valu pour moi rester l’humble comédienne que j’étais. Je pouvais du moins le voir tous les jours, et, sûre de ma vertu comme de son respect, savourer en paix la douceur d’être aimée. Malgré l’affection touchante de mon père, je me sens triste et seule dans ce château magnifique ; encore si Vallombreuse était là, sa compagnie me distrairait ; mais son absence se prolonge, et je cherche en vain le sens de cette phrase qu’il m’a jetée au départ avec un sourire : « Au revoir, petite sœur, vous serez contente de moi. » Parfois, il me semble comprendre, mais je ne veux pas m’arrêter à une telle pensée ; la déception serait trop douloureuse. Si c’était vrai, ah ! j’en deviendrais folle de joie ! »

La comtesse de Lineuil, car il est peut-être un peu bien familier d’appeler Isabelle tout court la fille légitimée d’un prince, en était là de son monologue intérieur lorsqu’un grand laquais vint demander si madame la comtesse pouvait recevoir M. le duc de Vallombreuse, qui arrivait de voyage et demandait à la saluer.

« Qu’il vienne tout de suite, répondit la comtesse, sa visite me fera le plus grand plaisir. »

Cinq ou six minutes s’étaient à peine écoulées que