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DÉCLARATION D’AMOUR DE CHIQUITA.

carrière soit interrompue sitôt. Il allait bien ; c’était un courage de lion.

— Moi, répondit Jacquemin Lampourde, je suis pour la méthode académique. Sans les formes, tout se perd. Toutes les fois que j’attaque, je touche mon homme sur l’épaule et lui laisse le temps de se mettre en garde ; il se défend s’il veut. C’est un duel, et ce n’est plus un meurtre. Je suis un spadassin, non un assassin. Il est vrai que ma profonde science de l’escrime m’assure des chances, et que mon épée est presque infaillible ; mais, savoir bien le jeu, ce n’est pas tricher. Je ramasse la bourse, la montre, les bijoux et le manteau du mort ; d’autres le feraient à ma place. Puisque j’ai eu la peine, il convient que j’aie le profit. Quoi que tu prétendes, ce travail au couteau me répugne ; cela est bon à la campagne, et avec des gens de bas lieu.

— Oh ! toi, Jacquemin Lampourde, tu es ferré sur les principes ; on ne t’en ferait pas démordre ; cependant, un peu de fantaisie ne messied pas en art.

— J’admettrais une fantaisie savante, compliquée et délicate ; mais cette brutalité emportée et farouche me déplaît. D’ailleurs, Agostin se laisse griser par le sang, et, dans son ivresse rouge, il frappe au hasard. C’est une faiblesse : quand on boit à la coupe vertigineuse du meurtre, il faut avoir la tête forte. Ainsi dans cette maison, où il s’est introduit dernièrement pour y voler des sommes, il a tué le mari qui s’était éveillé et la femme qui dormait ; meurtre superflu, par trop cruel et peu galant. Il ne faut tuer les femmes que