Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/338

Cette page a été validée par deux contributeurs.
331
ORTIES ET TOILES D’ARAIGNÉE.

fait, il vint annoncer à son maître « que ces messieurs étaient servis. »

Vallombreuse et Sigognac s’assirent en face l’un de l’autre sur les moins boiteuses des six chaises, et le jeune duc, que cette situation nouvelle pour lui égayait, attaqua les mets réunis à grand’peine par Pierre, avec une amusante férocité d’appétit. Ses belles dents blanches, après avoir dévoré un poulet tout entier, lequel, il est vrai, semblait mort d’étisie, s’enfonçaient joyeusement dans la tranche rose d’un jambon de Bayonne, et faisaient, comme on dit, sauter les miettes au plafond. Il proclama les foies de canard une nourriture délicate, exquise, ambroisienne, et trouva que ce petit fromage de chèvre, jaspé et persillé de vert, était un excellent éperon à boire. Il loua aussi le vin, lequel était vieux et de bon cru, et dont la belle couleur rougissait comme pourpre dans les anciens verres de Venise. Une fois même, tant il était de bonne humeur, il faillit éclater de rire, à l’air effaré de Pierre, surpris d’avoir entendu son maître appeler « M. le duc de Vallombreuse » ce vivant réputé pour mort. Tout en tenant tête du mieux qu’il pouvait au jeune duc, Sigognac s’étonnait de voir chez lui, familièrement accoudé à sa table, cet élégant et fier seigneur, jadis son rival d’amour, qu’il avait tenu deux fois au bout de son épée, et qui avait essayé à plusieurs reprises de le faire dépêcher par des spadassins.

Le duc de Vallombreuse comprit la pensée du Baron sans que celui-ci l’exprimât, et quand le vieux