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LE CAPITAINE FRACASSE.

ne faisait qu’y penser, et il comprenait combien elle était indispensable à sa vie. Pendant les premiers jours, l’étourdissement de toutes ces aventures accumulées, la stupeur de ces revirements de fortune, la distraction forcée du voyage l’avaient empêché de se rendre compte du véritable état de son âme. Mais, rentré dans la solitude, le calme et le silence, il retrouvait Isabelle au bout de toutes ses rêveries. Elle remplissait sa tête et son cœur. L’image même d’Yolande s’était effacée comme une vapeur légère. Il ne se demandait même pas s’il l’avait jamais aimée, cette beauté orgueilleuse : il n’y songeait plus. « Et pourtant Isabelle m’aime, » se disait-il, après avoir récapitulé pour la centième fois tous les obstacles qui s’opposaient à son bonheur.

Deux ou trois mois se passèrent ainsi, et Sigognac était en sa chambre cherchant la pointe finale d’un sonnet à la louange de son aimée, lorsque Pierre vint annoncer à son maître qu’un gentilhomme était là qui demandait à lui parler.

« Un gentilhomme qui veut me parler, fit Sigognac, tu rêves ou il se trompe ! Personne au monde n’a rien à me dire ; cependant, pour la rareté du fait, introduis ce mortel singulier. Quel est son nom, du moins ?

— Il n’a pas voulu le décliner, prétendant que ce nom ne vous apprendrait rien, » répondit Pierre en ouvrant la porte à deux battants.

Sur le seuil apparut un beau jeune homme, vêtu d’un élégant costume de cheval en drap couleur noisette, agrémenté de vert, chaussé de bottes en feutre