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ORTIES ET TOILES D’ARAIGNÉE.

mir, un des volumes dépareillés et déjà cent fois lus de sa bibliothèque dévastée par les rats faméliques. Comme on voit, il ne survivait rien du brillant capitaine Fracasse, du hardi rival de Vallombreuse ; Sigognac était bien redevenu le châtelain du château de la Misère.

Un jour, il descendit au jardin où il avait conduit les deux jeunes comédiennes. Le jardin était plus inculte, plus désordonné et plus touffu en mauvaises herbes que jamais ; cependant, l’églantier, qui avait fourni une rose pour Isabelle et un bouton pour Sérafine, afin qu’il ne fût pas dit que deux dames sortissent d’un parterre sans être quelque peu fleuries, semblait cette fois, comme l’autre, s’être piqué d’honneur. Sur la même branche s’épanouissaient deux charmantes petites roses, aux frêles pétales, ouvertes le matin et gardant encore dans leur cœur deux ou trois perles de rosée.

Cette vue attendrit singulièrement Sigognac par le souvenir qu’elle éveillait en lui. Il se rappela cette phrase d’Isabelle : « Dans cette promenade au jardin où vous écartiez les ronces devant moi, vous m’avez cueilli une petite rose sauvage, seul cadeau que vous pussiez me faire ; j’y ai laissé tomber une larme avant de la mettre dans mon sein, et silencieusement je vous ai donné mon âme en échange. »

Il prit la rose, en aspira passionnément l’odeur et mit ses lèvres sur les feuilles, croyant que ce fussent les lèvres de son amie non moins douces, vermeilles et parfumées. Depuis qu’il était séparé d’Isabelle, il