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ORTIES ET TOILES D’ARAIGNÉE.

philosophie prévôtale du vieux maître d’armes faisait sourire ; mais je me sens un peu fatigué. Allume la lampe et conduis-moi à ma chambre. »

Pierre obéit. Le Baron, précédé de son domestique et suivi de son chien et de son chat, monta lentement le vieil escalier aux fresques éteintes et passées de ton. Les Hercules à gaines de plus en plus pâles faisaient des efforts pour soutenir la feinte corniche dont le poids semblait les écraser. Ils gonflaient désespérément leurs muscles appauvris, et cependant n’avaient pu empêcher que quelques plaques de crépi ne se détachassent du mur. Les empereurs romains ne valaient guère mieux, et quoiqu’ils affectassent en leurs niches des mines de rodomonts et de triomphateurs, ils avaient perdu qui leur couronne, qui leur sceptre, qui leur pourpre. Le treillage peint de la voûte s’était défoncé en maint endroit, et les pluies d’hiver, filtrant par les lézardes, avaient géographié des Amériques nouvelles à côté des vieux continents et des îles déjà tracées.

Ce délabrement auquel Sigognac, avant d’être sorti de sa gentilhommière, n’était pas autrement sensible, le frappa et le jeta, tandis qu’il montait, en des mélancolies profondes. Il y voyait l’inévitable et fatale décadence de sa race et se disait : « Si cette voûte avait quelque sentiment de pitié pour la famille qu’elle a jusqu’ici abritée, elle devrait bien s’écrouler et m’écraser sur place ! » Arrivé à la porte des appartements, il prit la lampe des mains de Pierre, qu’il remercia et renvoya, ne voulant pas lui laisser voir son émotion.