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LE CAPITAINE FRACASSE.

quille. Seulement il se blâmait d’avoir eu quelques minutes d’espérance et d’illusion. Pourquoi diable aussi les malheureux veulent-ils être heureux ? Quelle sottise !

Cependant il parvint à secouer cette torpeur, et comme il voyait dans les yeux de Pierre pointer de timides interrogations, il narra brièvement à ce digne serviteur les faits principaux qui pouvaient l’intéresser dans cette histoire ; au récit des deux duels de son élève avec Vallombreuse, le bonhomme, fier d’avoir formé un tel disciple, rayonnait d’aise et simulait contre la muraille, au moyen d’un bâton, les coups que lui décrivait Sigognac.

« Hélas ! mon brave Pierre, dit le Baron en soupirant, tu m’as trop bien montré tous ces secrets d’escrime que personne ne possède comme toi. Cette victoire m’a perdu et renvoyé pour longtemps, sinon pour toujours, en ce pauvre et triste manoir. J’ai cette chance particulière que le triomphe m’abat et ruine mes affaires au lieu de les accommoder. Il eût mieux valu que je fusse blessé ou même tué en cette rencontre fâcheuse.

— Les Sigognac, fit sentencieusement le vieux serviteur, ne sauraient être battus. Quoi qu’il arrive, maître, je suis content que vous ayez tué ce Vallombreuse. La chose a dû être faite dans les règles, j’en suis sûr, et c’est tout ce qu’il faut. Que peut objecter un homme qui meurt d’un beau coup d’épée, étant en garde ?

— Rien, certainement, répondit Sigognac, que la