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ORTIES ET TOILES D’ARAIGNÉE.

lui, se sentant sûr de l’affection de Sigognac et peut-être satisfait d’entrer en relation avec un animal de son espèce, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps.

« Maintenant que j’ai répondu aux civilités de mes bêtes, dit Sigognac à Pierre, il ne serait peut-être pas mal à propos d’aller voir à la cuisine ce que contient ton garde-manger ; j’ai mal déjeuné ce matin, mais je n’ai pas dîné du tout, car je voulais arriver au but de mon voyage devant qu’il fît nuit. À Paris, j’ai un peu perdu mes habitudes de sobriété, et je ne serai pas fâché de souper, ne fût-ce que d’un rogaton.

— Maître, il y a un reste de miasson, un peu de lard et du fromage de chèvre. Ce sont des mets sauvages et rustiques que vous ne trouverez peut-être plus mangeables depuis que vous avez tâté de la grande cuisine. S’ils ne flattent pas le palais, ils empêchent du moins de mourir de faim.

— C’est tout ce qu’un homme peut demander à la nourriture, répondit Sigognac, et je ne suis point ingrat, comme tu sembles le penser, envers les aliments simples qui ont soutenu ma jeunesse et m’ont fait sain, alerte et vigoureux ; sers ton miasson, ton lard et ton fromage avec la fierté d’un maître d’hôtel qui apporterait sur un plat d’or un paon faisant la roue. »

Rassuré sur sa cuisine, Pierre couvrit en hâte la table où d’habitude Sigognac prenait son maigre repas, d’une nappe bise mais propre ; il plaça d’un côté le gobelet, de l’autre le pot de grès plein d’une piquette acide pour faire symétrie au bloc de miasson